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fait, et non pas une existence de droit, car je ne sais pas s’il est nécessaire qu’il y ait des consciences, si elles font partie de l’essence même des choses, si elles ne sont pas un accident. Ah ! si je connais la raison profonde qui fait qu’il y a des consciences ; si je connais la loi idéale, supérieure à toutes les consciences particulières, qui suscite ces consciences particulières, alors oui, le monde, en ces consciences, a une existence de droit ; et je suis rassuré sur l’univers splendide et sonore. Je sais qu’une loi éternelle pousse le monde à se saisir et à se posséder lui-même. Je sais que le son et la lumière ne sont pas de vaines apparences qui puissent, en s’atténuant et en pâlissant, venir à rien ; mais qu’ils sont les relations nécessaires, éternellement contenues dans l’être lui-même, selon lesquelles la vivante unité du monde s’accomplit. Dès lors, je ne m’inquiète plus de telle ou de telle conscience particulière, de tel ou de tel état de la représentation. Je sais que la loi idéale, dans son incessant effort, réalise l’unité autant qu’il est possible, et que cette unité, toujours incomplète, doit parfois cependant éveiller au cœur des choses, sous leur morne apparence de pesanteur, je ne sais quel frisson de joie infinie. Je sais que, çà et là, de belles consciences doivent éclore, en qui la réalité aura presque tout son éclat et l’univers presque tout son prix. Quoique passagères et bientôt évanouies, elles perpétuent la beauté et la splendeur du monde ; car elles ne sont pas une trouvaille, une rencontre fortuite de la vie, mais seulement une expression plus heureuse et plus noble de l’universel effort. Je sais que dans ce jardin merveilleux, où une même loi travaille l’infinie diversité des germes, les belles floraisons, même si elles n’éclatent qu’à intervalles, affirment la continuité de