Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/381

Cette page a été validée par deux contributeurs.

CHAPITRE VIII

conscience et réalité


Nous voici arrivé, en effet, à l’objection la plus spécieuse contre la réalité du monde extérieur. Nous avons beau démontrer que la sensation contient de l’être, et que l’espace n’est pas une forme vaine de notre sensibilité, toujours est-il que c’est nous qui percevons les sensations dans l’espace. Nous ne pouvons pas faire abstraction du moi ; il revendique sa part ou plutôt il revendique le tout. C’est moi qui vois la lumière ; et nous avons beau dire qu’elle a un sens : que serait-elle si je ne la voyais pas ? Sa fonction, semble-t-il, son essence, c’est d’être vue. La fonction, l’essence du son, c’est d’être entendu. S’il n’y avait plus de conscience pour entendre et pour voir, il n’y aurait plus ni lumière ni son. Supposez un moment que tous les yeux soient éteints, que toutes les oreilles soient sourdes. Que devient le son ? que devient la clarté ? Ainsi, même si le son et la lumière ne sont pas des sensations brutes, même s’ils ont un sens, c’est-à-dire une réalité intelligible, indépendante de nous, ils n’ont de réalité effective qu’en nous et par nous. Ils sont liés à nous et ils disparaissent avec nous. Nous emportons l’univers dans le tombeau ; ou plutôt, comme le tombeau lui-même