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réalité, et, comme le disent certains mathématiciens, l’infiniment petit existe dans la nature. Mais en quel sens et comment existe-t-il ? Évidemment, ce n’est pas comme quantité déterminée, car sa définition même est d’être plus petit que toute quantité donnée. Il existe comme manifestation, dans l’ordre de la quantité continue, des lois, des essences indépendantes de toute quantité donnée. Il est le point idéal et réel où l’essence d’une loi, où son idée se mêle à la quantité sans se soumettre à aucune détermination arbitraire de quantité. L’infiniment petit représente l’indépendance essentielle et la pureté de la loi dans son union avec la quantité, et c’est parce qu’il est, non une fiction mathématique, mais une vérité métaphysique, qu’il permet au calcul de saisir jusqu’au fond les lois de la réalité. C’est parce que ces lois ont leur substance dans l’infini de l’être, dans le système de relations et de communications qu’enveloppe son unité, qu’elles peuvent se déployer dans la quantité sans s’y perdre ; l’infini vivant qu’elles expriment leur subordonne l’infini inerte de la quantité ; l’infiniment petit est le point de contact de l’infini vivant, qui est acte, et de la quantité continue, qui est la matière de cet acte : c’est le nœud intime, fuyant et réel, de Dieu et du monde. Dans la continuité à la fois visible et métaphysique du mouvement, nos sens saisissent Dieu comme notre esprit ; notre raison le touche et nos yeux le voient. L’infiniment grand existe et agit dans la nature comme infiniment petit. Il n’existe pas, ainsi que nous l’avons vu, comme totalité : il existe comme unité vivante et infinie de l’être ; il traduit, par un système dont les parties innombrables sont coordonnées entre elles, l’infinité inépuisable et une de l’être. Or, de même que l’infiniment petit permet à