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nombre fini. Oui, mais nous n’avons pas le droit d’adopter une unité de mesure arbitraire ; la seule unité naturelle serait l’infiniment petit, et ainsi une partie limitée d’étendue enveloppe actuellement une infinité de parties ; elle est donc, au point de vue numérique, aussi contradictoire que l’espace en son entier. Mais de quel droit soumettre le continu de l’étendue aux exigences de la quantité discrète, discontinue, qui est le nombre ? Le continu est réel, essentiel ; le discontinu, c’est-à-dire le nombre, n’existe que par un artifice de l’esprit découpant dans le continu des unités arbitraires. Si ces unités restent des unités géométriques, je veux dire des fragments d’étendue, elles enveloppent, elles aussi, le continu, c’est-à-dire l’infini ; et comment pourraient elles servir à nier l’infinité qu’elles portent en elles ? Et quant aux unités purement arithmétiques, elles n’ont de sens, appliquées à l’espace, que si elles représentent des unités d’étendue. Au reste, même dans la série des grandeurs purement numériques, le continu subsiste, reliant une grandeur à une autre par des grandeurs intermédiaires en nombre infini. Donc, partout, le continu, et l’infini avec lui, est au fond, et ceux qui, réduisant l’espace à la contradiction d’une totalité infinie, prétendent par là le limiter, se servent de l’infini pour abolir l’infini.

Le principe de leur erreur, c’est qu’ils voient dans l’espace une somme. Or, étant homogène, continu et indivisible, il est une unité. Son infinité ne consiste pas en ce que ses parties constitutives se prolongent indéfiniment par d’autres parties : elle consiste à n’avoir point de parties, à être partout et essentiellement le même ; c’est parce qu’il n’admet pas de différences, qu’il n’admet pas de limites ; c’est parce qu’il participe à