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suivons dans tout notre travail. L’espace est-il infini ? Il semble bien que cela suive de la nature même de la quantité : pourquoi, étant homogène et continu, l’espace s’arrêterait-il ici ou là ? De plus, qu’y aurait-il au delà de l’espace ? Est-ce que l’être cesserait là où cesse l’espace ? Pour nous, qui avons reconnu dans l’espace une manifestation sincère de l’être, nous ne pouvons pas plus borner l’espace que l’être lui-même ; l’infinité de l’un emporte l’infinité de l’autre. La seule difficulté, que Kant a mise en lumière dans une des branches de l’antinomie, c’est que, si l’espace est infini, il y a une totalité infinie, ce qui répugne. Il existe actuellement des parties d’étendue en nombre infini ; or, le nombre ne peut pas être infini. Si l’espace est infini, la synthèse de ses parties par le mouvement ne peut jamais être achevée. Or, affirmer l’infinité actuelle de l’espace, c’est proclamer que cette synthèse est faite.

J’observerai d’abord que cet ordre d’objections ne va pas seulement à nier l’infinité de l’espace ; mais qu’il aboutit à la négation du continu lui-même, lequel enveloppe l’infini. Dans une étendue d’un mètre, il y a une infinité de parties possibles, et par conséquent, si l’on voulait exprimer par un nombre l’essence même de cette étendue bornée, c’est à un nombre infini qu’il faudrait recourir. Qu’on ne dise pas que l’infinité de l’espace en son entier est actuelle, tandis que l’infinité d’une étendue bornée est simplement possible. Je reconnais qu’il y a, en effet, de l’espace entier à une partie d’espace, au point de vue de l’infinité numérique, cette différence : c’est que l’espace entier est actuellement infini, quelle que soit l’unité de mesure adoptée ; et, au contraire, quelle que soit l’unité de mesure adoptée pour une étendue finie, celle-ci sera exprimée par un