Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’espace n’a que l’infinité de l’extension. Sans doute, par le mouvement dont il est inséparable, l’espace touche à l’action, et par suite à l’intimité même de l’être ; mais le mouvement, c’est l’action dans ses moyens extérieurs, et non pas dans sa source profonde qui est l’appréhension et le désir de l’infini par toutes les parties de l’être. Dès lors, tout ce qui tient à l’intérieur même de l’action, la force, la tendance, l’idée, la conscience, l’unité vivante, la personnalité se dérobe à l’espace et ne lui appartient pas. Ceux qui, frappés des caractères de réalité, de vérité qu’offre l’espace, absorbent tout en lui, aboutissent à une sorte de panthéisme imaginatif et vulgaire. Pour nous, c’est en subordonnant l’espace à l’être comme une manifestation dérivée et partielle que nous en établissons la réalité, et s’il suffit d’ouvrir les yeux pour voir quelques vérités sous la forme de l’espace, c’est seulement avec la raison et l’âme que nous arrivons aux vérités les plus hautes et les plus grandes. Notre foi, même en l’infinité de l’espace, est un acte de raison ; nos sens ne peuvent pas constater l’infinité de l’étendue. Quand donc nous affirmons la réalité du monde sensible, ce n’est point pour absorber en lui toute vérité, c’est pour ne pas scinder la vérité. Nous rattachons le sensible à un principe supérieur d’intelligence et de vie ; les hommes primitifs, avant l’apparition des premières philosophies, adoraient les forces de la nature épanouies dans l’espace ; ils n’adoraient point, à vrai dire, l’espace lui-même, l’abstraction de l’espace. L’éther sublime et illimité vers lequel s’élevaient leurs yeux et leur cœur, c’était l’éther lumineux, c’était la lumière unie à l’espace ; mais enfin, au fond, c’était l’espace aussi qu’ils adoraient, c’est lui qui enveloppait toutes