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Descartes est dans une situation malaisée, car, comment expliquer que de pures modifications de l’âme se prêtent à l’étendue, essence réelle des corps ? Il y a pourtant, dans sa conception, une part de vérité que nous pouvons recueillir ; il est certain que l’espace, si l’esprit y introduit des limites, des déterminations, est l’objet d’une science, la géométrie ; au contraire, les sensations de son, de lumière, de couleur, de saveur, ne sont point objet de science, ce n’est qu’en les ramenant à des mouvements, c’est-à-dire à des rapports d’étendue, que la science peut les saisir ; il y a donc science de l’étendue, il n’y a point science des sensations. Mais il n’est point nécessaire, pour expliquer cette différence, de dire que l’étendue est réalité, et que les sensations sont vanité. L’espace, lorsque, par l’abstraction, on l’isole du mouvement, lorsque le mouvement qui le parcourt est comme fixé et ramené à l’état de repos sous forme de lignes et de contours, exprime l’être sous le seul aspect de la quantité. L’esprit peut saisir cette idée unique, et, par suite, élever toute une science sur des rapports de quantité. Au contraire, les sensations, la lumière, la transparence, le son, représentent des fonctions plus déterminées de l’être, les rapports délicats et multiples de l’être universel et des centres particuliers de conscience qui vivent en lui. La sensation, c’est la vie, et dans la vie il y a toujours union, combinaison de l’être particulier et de l’être universel. Tel son de cloche me remue aujourd’hui jusqu’au fond de l’âme, qui demain me laissera indifférent. Bien que toute sensation corresponde à une fonction définie de l’être, il y entre toujours une part de spontanéité, de mystère et de flottante liberté, mais, bien loin que cela démontre la vanité et la subjectivité des sensations,