Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre monades puissent être figurés par des rapports d’étendue ? En fait, la substance dont l’ébranlement initial détermine, même à distance, même à travers une longue série d’intermédiaires, une autre substance, est, dans l’ordre de l’action et de l’harmonie, immédiatement en rapport avec cette substance ; elle devrait donc lui être contiguë, et toutes les monades qui se bornent à transmettre le signal donné devraient s’effacer devant elle. L’action réciproque des monades n’étant que la libre harmonie de leurs états intérieurs, pourquoi deux monades ne peuvent-elles s’accorder directement sans mettre dans leur jeu toute une série d’intermédiaires ? Qu’est-ce à dire ? C’est que, quelque puissante que soit leur individualité, elles portent toutes en soi l’être ; qu’ainsi elles appartiennent à l’être, et qu’elles retrouvent en lui, dans son unité et sa continuité, la condition première de leur action. Elles sont donc obligées d’agir selon la continuité de l’être, à travers toutes les formes qu’il revêt, quelque banales, quelque indifférentes qu’elles puissent être. Je défie que l’on puisse passer des monades de Leibniz à l’étendue. Les diverses substances y sont comme des âmes reliées entre elles par des harmonies secrètes et de mystérieux pressentiments ; en quoi les relations d’étendue peuvent-elles figurer les relations de ces âmes ? Il faut les imprégner d’être ; c’est à travers l’être qu’elles s’appelleront ; elles trouveront en lui une commune mesure, et elles pourront traduire leurs rapports intimes dans l’ordre banal de l’étendue ; elles pourront, par exemple, exprimer leur puissance de sympathie réciproque, par la distance que cette sympathie parcourt sans se lasser.

La grande préoccupation de Leibniz était que tout fut déterminé, discernable, que tout élément du monde