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l’unité du « je pense » rende possible toute perception, toute connaissance, toute expérience. Cette unité de la conscience est-elle dérivée ? Non, car je ne puis ramener à une certaine unité de conscience empirique des éléments même homogènes, par exemple le rouge d’une feuille d’arbre en automne et le rouge d’une brique sur le toit de la ferme, que si j’ai déjà perçu ces deux éléments, et je ne puis les percevoir qu’au moyen d’une unité primitive, de la synthèse primitive de la conscience. L’unité synthétique précède nécessairement et rend possible l’unité analytique.

Il ne s’agit pas ici, comme on le voit, de la conscience empirique du moi individuel, pas plus qu’il ne s’agissait tout à l’heure de l’entendement individuel. Le moi individuel est précisé, déterminé par certaines impressions, par certains souvenirs, par certaines modifications. Mais le développement même du moi individuel n’est possible que sous la condition préalable d’une unité de conscience, qui ne se confond pas avec lui. C’est donc la conscience, avec son unité primitive, qui rend possible l’expérience sensible, et la perception même de l’espace. Voilà donc la sensibilité et l’intuition de l’espace subordonnées à la conscience ; et si les catégories de l’entendement sont la forme sous laquelle se manifeste cette unité primitive de la conscience, l’organe par lequel elle peut agir, le double problème qui vient d’être posé sera résolu. Car, d’une part, l’expérience sensible n’étant possible que par l’unité de la conscience, et l’entendement étant compris dans cette unité, le monde de l’expérience sensible devra se développer conformément aux règles de l’entendement. Par là l’entendement apparaît comme souverainement actif et spontané puisqu’il façonne la na-