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pace et au temps ne sont pour nous que des concepts vides, qu’elles gardent cependant, au delà de notre expérience, une valeur ? Comment aussi la sensibilité humaine se conforme-t-elle aux lois, aux règles de cet entendement universel ? Car, enfin, les phénomènes, une fois perçus sous la forme de l’espace et du temps, pourraient se succéder avec une incohérence absolue comme un jeu fantastique de représentations sans se soumettre à aucune des catégories de l’entendement, sans se conformer notamment à la loi de causalité. C’est Kant lui-même qui pose en ces termes le problème. Au point où nous sommes parvenus, il comprend deux questions distinctes, mais liées. Pourquoi l’entendement a-t-il une valeur universelle ? Comment soumet-il à ses règles universelles la sensibilité humaine ? Ces deux questions vont recevoir de Kant une réponse unique dans la théorie de l’aperception primitive, et nous comprendrons alors à fond ce qu’est la spontanéité de l’entendement, lorsque nous l’aurons vue agir sur la sensibilité pour la déterminer à ses règles.

Kant observe que l’unité primitive de la conscience est nécessaire à toute perception ; j’ai beau soumettre à la condition de l’espace des représentations diverses, je ne connais ces représentations qu’en les liant par un acte ; pour connaître une ligne, il ne suffit pas que les éléments en soient donnés et juxtaposés dans l’espace ; il faut que je parcoure et que j’ordonne tous ces éléments, il faut que je tire la ligne. Or, toute cette série d’actes est impossible si elle ne se ramène pas à l’unité d’une conscience ; s’il y avait autant de consciences qu’il y a d’éléments perçus, il n’y aurait pas cette action continue et une qui est la condition même de toute connaissance ; il faut donc que l’unité de la conscience,