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et qu’il m’apparaît tel, m’apparaît comme une partie de l’être universel, alors, comme je comprends l’être universel, comme ma pensée s’y plaît, comme elle s’en nourrit, mon corps dans la mesure même où il n’est pas moi ne m’apparaît plus comme un étranger.

Or, je vois et je sens mon corps dans l’étendue ; il m’apparaît dans l’étendue avec les autres corps, avec les autres êtres. Par là, en même temps qu’il est mon corps, il m’apparaît comme faisant partie du système universel. Les mouvements que j’accomplis par lui sont mes mouvements, mais ce sont aussi des mouvements qui entrent en relation dans l’étendue avec tous les autres mouvements. Par là mon corps, dans la mesure où il n’est pas moi, est pour moi une partie de l’être universel, de l’activité universelle. Ce qui, en lui, n’est pas assimilé par ma conscience et ma volonté, est assimilé par ma raison qui conçoit l’universel. Je comprends alors la pensée de Leibniz : le corps n’est que le point de vue de l’âme sur l’univers. Pour que de ce point de vue nous puissions contempler l’univers, il faut qu’en ce point de vue même, c’est-à-dire en notre corps, nous retrouvions l’universel. Or, c’est par l’étendue et le mouvement que notre corps rentre dans l’univers ; c’est donc par l’étendue et le mouvement que notre âme, dont le corps est tout à la fois l’organe et le point de vue, rentre dans l’univers. Tous les êtres, depuis la molécule jusqu’à l’homme, étant composés, au sens que j’ai dit, d’une âme et d’un corps, toutes les âmes de l’univers seraient isolées et étouffées en soi, si leur corps ne leur apparaissait pas non seulement comme l’organe de leur activité interne, mais aussi comme une partie de l’être universel. Grâce à l’étendue et au