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mense où tous les objets de l’univers inscrivent, en caractères visibles, leur état intérieur ? Nous sentons en nous-mêmes des besoins, des appétits, des énergies, des aspirations. Nous voudrions aimer, être aimés, nous agrandir, nous répandre, nous mêler aux choses, leur donner et leur emprunter, puis nous concentrer en nous-mêmes pour assimiler et savourer ces richesses nouvelles, puis nous échapper de nouveau, plus riches et plus joyeux, vers l’infini. Or, cette énergie intime, invisible, qui est en nous, se répand et se communique par le mouvement visible : elle se mêle à l’espace par les gestes du corps, par l’éclair des yeux, par les vibrations de la voix, par le frisson qu’une âme débordante communique aux grands horizons. Or, tous les objets, quel que soit le mystère particulier de leur vie intime, par cela seul qu’ils prennent place dans l’espace, prennent place dans l’universelle continuité qui est une possibilité, un commencement et une promesse d’universelle harmonie. Par l’espace, toutes les âmes font la chaîne.

Les objets, si peu qu’ils soient, dans leur fond, analogues à notre âme, c’est-à-dire à une force d’unité et d’expansion, sont dans l’espace de deux manières.

Tout d’abord ils peuvent répandre leur âme secrète dans l’être universel ; ce phénomène pour les âmes cultivées s’appelle la rêverie. Mais qui sait jusqu’où elle peut descendre ? qui sait si l’atome, baignant dans l’éther immense sa forme définie et son mouvement rythmé, ne connaît jamais au point de contact de son être individuel et de l’être universel ce rêve d’infini que l’âme croit retrouver parfois dans la nature tout entière ? Or ce contact de tous les centres distincts de force et de vie avec l’être universel, est-ce qu’il n’est