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Voilà pourquoi ce n’est ni par l’expérience ni par la réflexion que nous l’appréhendons ; mais il ne reste pas comme un bloc inintelligible, comme une assise brute sur laquelle s’édifie la connaissance. La réflexion qui ne l’a point créé le pénètre. Notre raison, après l’avoir utilisé, le justifie ; et lorsque, par la pensée, nous avons retrouvé en lui tout ce qu’il contient, nous avons détruit, par une action rétrospective, ce qu’il avait à l’origine d’aveugle et de brut. Toutes les clauses du traité secret conclu entre la nature et l’esprit s’éclairent, et, dans les relations de l’univers et de l’esprit, il n’y a plus d’instinct : tout est lumière.

Comment Kant est-il passé de l’apriorité de l’espace à sa subjectivité ? Il donne plusieurs raisons, mais qui toutes, du point de vue où nous sommes placés, semblent vaines. Tout d’abord, dit-il, l’espace devant être la forme a priori de la représentation, doit être dans l’esprit avant toute représentation. Il est donc la forme subjective de notre sensibilité humaine. Je ne méconnais pas la grandeur de cette conception : elle nous arrache violemment à toutes nos illusions sensibles ; elle renverse toutes les conceptions purement imaginatives de l’univers, et elle nous donne une sévère impression de mystère. Mais le raisonnement qui la soutient est bien loin de s’imposer ; car de ce que l’espace est a priori dans notre esprit, suit-il qu’il n’a de valeur que pour nous ? Est-ce qu’une forme a priori de notre esprit ne pourrait pas contenir le secret des choses mêmes ? Vous dites que l’espace ne concerne pas les objets en tant qu’objets, qu’ils n’y entrent que comme phénomènes. Mais pourquoi le phénomène ne serait-il pas significatif de l’objet ? Pourquoi, par conséquent, l’espace ne serait-il pas comme la toile im-