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l’aspiration vers l’infini. Tantôt l’être, quand notre pensée pénètre en lui, nous donne un sentiment de plénitude et de repos, tantôt, au contraire, il nous communique les aspirations qui le travaillent. Ou bien nous nous reposons en lui des agitations superficielles de la vie, ou, au contraire, notre âme déborde, en se mêlant à lui, d’aspirations puissantes et vagues vers la vie. Il est tantôt le port immobile et calme où nous nous abritons, tantôt la source profonde et bouillonnante d’où la vie s’échappe. Or, tantôt l’espace, par ses immuables étendues, nous emplit l’âme d’une sorte de placidité, tantôt, au contraire, il déchaîne, en y mêlant son infinité vague, toutes les puissances intérieures de notre âme. Chose étrange et significative que cette correspondance de l’être que nous ne voyons pas et de l’espace que nous voyons ; mais voyons-nous, en effet, l’espace ? L’espace pur, non, certes, et, sans les sensations diverses qui le déterminent pour nous, il ne serait pas objet de perception. Mate aussi toutes ces sensations elles-mêmes que seraient-elles sans l’espace qui y est mêlé ? Donc, nous sentons l’espace dans et par les sensations, mais nous le sentons ; donc, l’être, par l’espace qui l’exprime et le traduit, est visible et sensible. N’opposez plus les sens à la pensée ; les sens et la pensée se touchent et se pénètrent. La pensée voit par les yeux du corps.

Quelles sont les relations de l’espace et de la matière ? Descartes considérait l’étendue comme l’essence même de la matière. On peut, prenant un corps, le dépouiller, par des transformations successives, de toutes ses qualités, on peut lui enlever, au moins par la pensée, la couleur, la chaleur, la saveur, etc. On peut en modifier l’état physique, on peut en changer