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posées s’enveloppent partiellement les unes les autres, et que l’esprit retrouve, dans les conceptions plus générales, quelques-uns des éléments compris dans les idées moins générales, ou les objets particuliers. Mais, au point de vue purement logique, ce mouvement de l’esprit n’est en quelque sorte qu’un appauvrissement continu, puisqu’il laisse en chemin toutes les déterminations, et qu’arrivé au bout, il n’a retenu qu’une idée, la plus générale, mais aussi, au point de vue logique, la plus vide de toutes, l’idée d’être. Comment se fait-il donc que dans ce mouvement de contemplation l’esprit sente en lui-même, non pas une détresse croissante, mais, au contraire, un enrichissement de joie et d’orgueil ? Comment se fait-il que Platon, ayant longuement familiarisé son âme avec les objets bons et beaux, s’élève, avec un enthousiasme grandissant, jusqu’à cette idée de l’être, qui lui apparaît si belle et si pleine, qu’il se demande si ce n’est pas en elle que l’idée du bon resplendit le mieux ? Cet ignorant de Jean-Jacques s’abandonnait lui aussi, dans les champs et sous les bois, à l’essor spontané de la pensée platonicienne ; il avait fait de l’histoire naturelle tout le jour, il avait ramassé des échantillons minéraux, classé des plantes, étudié des insectes, et peu à peu, le soir venu, il méditait sur tous les rapports qui enchaînaient tous ces êtres, puis tous les êtres ; et sa pensée s’élargissait bien au delà des vastes horizons du soir jusqu’à l’idée de l’être universel, en qui elle résumait et agrandissait tout ensemble les joies éparses de sa journée. Comment cela est-il possible ? comment la pensée, en paraissant se dépouiller, s’enrichit-elle en effet ? c’est que l’idée d’être n’est pas un élément juxtaposé aux choses qu’on en isole par dissection ou analyse ; elle est au fond des