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plicité ; une uniformité close par où l’être, comme le monde, se repose en soi.

Mais ce n’est pas tout, et lorsque les Éléates veulent montrer que le multiple de l’être est contradictoire, c’est dans l’ordre de l’espace et du mouvement qu’ils prennent leurs exemples et leurs démonstrations, la flèche d’Achille et la tortue. Pour bien saisir le sens de ces discussions plus profondes encore que subtiles, il faut ramener le problème de l’espace et du mouvement au problème de l’être et de la multiplicité. Si l’on s’arrête à mi-chemin, si l’on s’enferme dans le problème spécial d’Achille et de la tortue, tel qu’il a été posé par Zénon, il est impossible, d’une part de saisir le but poursuivi par les Éléates et, d’autre part, d’échapper à la logique mathématique de leurs conclusions. Mais pourquoi y a-t-il un Achille, et pourquoi y a-t-il une tortue ? pourquoi existe-t-il des grandeurs déterminées, définies par de mutuels rapports ? et comment certaines portions d’espace qui sont en un sens infinies, puisqu’on peut y trouver à l’infini des éléments toujours nouveaux, peuvent-elles être circonscrites par des figures finies ? Comment, en un mot, l’infini se laisse-t-il envelopper et comprendre dans le fini ? Voilà le problème préalable et fondamental, et c’est bien ainsi que les Éléates l’entendaient, car ils voulaient aboutir à la suppression du multiple, c’est-à-dire de la figure, aussi bien que du mouvement. Du moment qu’on a accepté l’existence d’Achille et de la tortue, c’est-à-dire de grandeurs distinctes animées de mouvements distincts et comparables, il n’y a plus qu’à abandonner à son jeu spontané toute cette mécanique de formes et de mouvements. Vous avez accepté le multiple dans l’unité de l’être, vous n’avez plus qu’à accepter le mouvement