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dans l’âme inétendue puissent jaillir et se mouvoir des images étendues. Mon âme, par l’imagination, par le souvenir, voit le ciel, la mer et la terre ; quel mystère et quel prodige ! Or, s’il y avait déjà dans l’ordre tout intérieur de la pensée un conflit et comme une contradiction insoluble entre les éléments spirituels et les éléments imaginatifs et sensibles, à plus forte raison l’opposition devait-elle éclater entre l’âme d’un côté, l’univers étendu de l’autre. La concentration de la vie chrétienne ramassait l’activité de l’âme en un point tout intérieur et tout ardent. L’univers, au contraire, sous la forme de l’étendue, apparaissait comme une dissipation infinie, où rien n’était intérieur à soi-même. Et comme il n’y a ardeur et vie que là où il y a concentration, il apparaissait sous la forme de l’étendue comme une passivité indifférente et morte. Tout à l’heure, nous avons vu l’âme humaine laissant déborder dans l’infini extérieur sa propre infinité, et sacrant en quelque sorte l’infinité de l’espace. Il n’y a pas contradiction à la montrer maintenant sous la même inspiration d’origine chrétienne se resserrant en soi-même et s’opposant à l’étendue de l’univers ; car si elle se complaît un moment dans l’infini de l’étendue, c’est parce qu’un moment elle se l’approprie, elle se l’assimile ; c’est parce qu’elle en fait jaillir par une excitation passionnée la même infinité de tendresse et de foi qu’elle porte en elle. Mais elle s’épuise vite à se prodiguer ainsi. Si l’infini de l’étendue tressaille à son appel, c’est en lui dérobant sa flamme ; elle rentre en elle-même de peur de se perdre en se donnant. Et alors elle sent d’autant plus l’opposition qu’il y a d’elle au monde que l’ayant un instant parcouru en maîtresse, elle ne peut cependant le posséder. Je me rappelle qu’un soir, sur ma cou-