Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Dieu qui se révèle et qui sourit sous l’infinité transparente de l’étendue ; c’est-à-dire que la pensée aura en face d’elle, non pas un infini de hasard déchiqueté et morne comme celui de Démocrite, mais un infini sacré nécessaire comme Dieu, plein comme Dieu. L’infini qui était dans l’âme et l’infini qui était dans le monde s’appelaient l’un l’autre ; l’âme, par la puissance illimitée de son vol, créait l’infini de l’espace en le découvrant, et l’infini de l’espace élargissait à sa mesure les ailes de l’âme. Peut-être y avait-il, dans cette première rencontre de l’âme humaine et de l’infinité extérieure, une secrète et mutuelle tromperie ; peut-être l’âme humaine répandait-elle, dans l’espace sans fond, la vanité de ses rêves ; peut-être l’espace infini, qui appelait l’âme humaine comme par une révélation nouvelle ou une promesse de Dieu, devait-il la conduire de fatigue en fatigue, de déception en déception, jusqu’à l’affirmation de l’universelle détresse. Mais il se peut aussi que la première fête de l’âme et de l’infini extérieur contienne une vérité ; il se peut que l’âme n’eût pu se répandre dans l’infini extérieur avec ses tendresses, ses caresses et ses songes, si cet infini extérieur lui-même n’eût contenu un secret divin d’espérance et de douceur. Quoi qu’il en soit, l’espace n’a attiré l’attention de l’esprit que lorsqu’il a apparu par son infinité comme une puissance, et son infinité même ne s’est révélée qu’illuminée d’un reflet religieux.

Mais c’est d’une autre façon aussi que la révolution chrétienne a donné de la valeur à l’idée d’étendue et d’espace. Le développement de la vie intérieure, l’habitude du recueillement et de la spiritualité rendaient plus sensible aux intelligences le contraste entre la pensée et le monde étendu. Déjà Augustin s’étonne que