Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la couleur, l’allège et l’idéalise : rien ne demeure stérile ; tout fait œuvre de beauté. Les molécules dispersées dans l’air nous donnent les splendeurs du couchant ; l’obscurité infinie des espaces vides, se répandant dans la clarté du jour, l’adoucit en une charmante teinte bleue ; le mystère même de la nuit et la brutalité de la lumière, saisis au travers l’un de l’autre et l’un dans l’autre, conspirent à une merveilleuse douceur : le jour manifeste la nuit ; car, plus la lumière est abondante et pure, plus le ciel est profond, et plus le regard devine l’immensité des espaces qui sont au delà ; et le soir, quand le voile de clarté tombe pour laisser voir la nuit à découvert, on la trouverait bien vulgaire et bien triste, si elle ne s’emplissait lentement d’un autre mystère.

Devenue expressive dans la couleur, la lumière s’est rapprochée du son : elle peut concourir avec lui à manifester l’âme des choses ; tandis qu’un son qui s’élèverait dans la pure clarté serait comme une voix dans le désert, sans rien qui la soutienne ou lui réponde, les sonorités du monde s’harmonisent à ses splendeurs. La magnificence ou la tristesse des teintes correspond à la plénitude joyeuse ou à la douceur voilée des sons : la lumière, dans sa lutte et son union avec l’obscurité, est devenue dramatique, et elle s’accorde avec un monde où tout est action ; l’ombre, en pénétrant dans la clarté, y a glissé d’intimes trésors de mélancolie que le bleu pâlissant du soir communique à l’âme, et la sérénité impassible de la clarté pure est devenue, au contact de l’ombre qu’elle dissipe en s’y transformant, quelque chose de plus humain, la joie. Voilà comment peuvent se rencontrer et se fondre, dans une expression commune, le rayon qui tombe du soleil et la plainte qui