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tence a son idée, et autant il est enfantin de chercher hors d’elle ce qu’elle signifie, autant il est léger d’y amuser son regard sans y appliquer son intelligence. Ce n’est pas que le sens caché ait besoin d’être explicitement compris, et que toute joie artistique ait pour condition une méditation de l’esprit ; mais il y a jusque dans cette joie même une révélation inaperçue, et le regard, ami des couleurs, de la lumière et de l’ombre, perçoit leurs rapports à sa manière, sans que l’intelligence puisse les formuler. Chaque sens, dirais-je, a son intelligence qui lui est propre : tel peintre a observé finement avec ses yeux qui ne sait point observer avec son esprit. Les couleurs, outre cette valeur propre, ne sont-elles point capables d’un symbolisme extérieur ! Il serait téméraire de le nier ; car bien des analogies relient toutes les sphères de l’existence : partout on retrouve l’opposition et l’accord, la lutte, la résignation ou la victoire. Pourquoi, dès lors, le bleu avec sa douceur profonde, le rouge avec l’éclat triomphal de la lumière qui a vaincu les résistances et qui y a trouvé une vivante splendeur, ne seraient-ils point significatifs pour l’âme comme pour le regard ? Mais il faut bien se garder de glisser sur la pente des analogies et de faire de la couleur, qui est une manifestation originale, un pur instrument de peinture morale.

La vie est belle et intelligible en toutes ses formes, et il n’est point dans l’infini de sphère distincte qui ait besoin d’emprunter à d’autres un rayon d’idéal. Ce rayon d’idéal luit intérieurement à tous ceux qui aiment ; toute passion est révélatrice. Est-ce à dire que la pure intelligence ne puisse ajouter aux joies de l’artiste ? Il me semble que quand la vérité explicite rencontre l’instinct, de cette lumière et de cette ardeur doit