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et qui la désire ; ce sont les faits qui la démontrent. La science croit que les corps solides ne renvoient un rayon coloré que lorsque, si je puis dire, ils sympathisent avec lui. De même qu’un diapason ne vibre, sous un son voisin, que lorsqu’il est en harmonie avec ce son, la matière pesante absorberait et annulerait le rayon coloré, s’il n’avait pas quelque correspondance au mouvement propre de ses molécules. Or, la couleur diffusée est en même temps la couleur transmise : jamais le nuage ne réfléchit vers nous de la lumière bleue ou verte ; il ne la transmet pas non plus : les vitraux rouges ou bleus transmettent des rayons rouges ou bleus ; sous les feuilles de la forêt, le jour est verdâtre. C’est dire que les rayons qui traversent un corps sont, si je puis dire, harmoniques à ce corps, puisqu’ils sont les mêmes que les rayons diffusés, et que pour ceux-ci la parenté est admise. Du reste, s’il n’y avait aucune correspondance, aucune amitié de la lumière colorée et du milieu qu’elle traverse, si elle y passait indifférente et négligée, elle n’y subirait pas de lentes et paisibles transformations. À travers un verre jaune, la lumière arrive jaune ; qu’on applique un second verre jaune sur le premier, la lumière arrivera rougeâtre. Qu’est-ce à dire ? C’est que les mouvements internes du verre exercent une action continue sur la lumière qu’il transmet, et que cette action paisible et graduée suppose un secret accord. Ainsi, la lumière universelle et indifférente n’a pu pénétrer dans notre monde sans faire amitié avec lui ; en même temps qu’elle est la transparence infinie de l’être, elle est, dans notre sphère, la joie et l’âme visible de toute existence. La vie interne des choses se manifeste en elle, et c’est une chose curieuse que les existences particulières aient su emprunter, à la clarté