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et du pesant, de l’éther et de la matière, du clair et de l’obscur ; et Hegel s’est trompé en réservant ce conflit à notre sphère ; il s’est trompé en considérant le soleil comme tout lumière, la terre comme toute obscurité, et en faisant naître, par conséquent, pour la première fois, la couleur fille du clair et de l’obscur au contact du soleil et de la terre. Mais la vérité, méconnue par lui, loin de détruire la théorie de Gœthe, la confirme ; car les couleurs pourront préexister en quelque sorte sous leur forme mécanique dans le rayon de lumière blanche, et être pourtant une combinaison du clair et de l’obscur, puisque le clair et l’obscur se retrouvent à l’origine même du rayon de lumière blanche.

Ainsi on peut, dans la théorie de Gœthe, faire la part de l’erreur sans la détruire ; on peut la concilier avec les théories mathématiques de l’optique, et, par là, supprimer l’obstacle essentiel à son triomphe. Gœthe ignorait les mathématiques de l’optique, et les dédaignait ; plein du sentiment de la vie, confiant dans ce profond et clairvoyant regard du poète qui, sous les apparences des choses, démêle ces choses mêmes, sous les phénomènes des forces, il suivait, dans les innombrables manifestations de la couleur, le jeu changeant et les relations variables de deux éléments contraires et coéternels, le jour et la nuit, la lumière et l’ombre, le clair et l’obscur ; et il n’acceptait pas que des formules abstraites prétendissent se substituer à la réalité des couleurs à la fois vivante et intelligible : vivante, puisqu’elle sortait de deux principes réels, et que les sens même saisissent isolés ; intelligible, puisqu’avec ces deux principes liés par leur opposition même, l’esprit pouvait créer et développer l’infinie diversité des couleurs et des nuances. Mais il oubliait que toute réalité