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à celui du nerf optique qui voit l’obscurité ? Ce n’est pas le repos d’un organe quelconque qui fait l’obscurité, c’est le repos de l’organe de la vue, et ce repos même a rapport à la vue et à la lumière ; puisque ce rapport existe dans l’organe visuel, qui n’est, comme nous l’avons vu, que la lumière prolongée, pourquoi un repos analogue et ayant rapport à la lumière ne se concevrait-il pas dans le monde ? Une vieille chanson mystique disait : L’œil est parent de la lumière, car, sans cela, comment la verrait-il ? Nous pouvons ajouter : il est parent aussi de l’obscurité. Hypothèses, dira-t-on, et hypothèses bien vagues. Je n’en disconviens pas, mais je ferai remarquer que l’hypothèse contraire de la science est plus téméraire encore, car elle prétend, en supprimant la réalité positive de l’obscur, avoir le dernier mot des fonctions de l’organe visuel et des fonctions de l’éther. Et notre hypothèse, d’ailleurs, est soutenue par cette grande idée que nous avons essayé d’établir, de la conformité, de l’harmonie de l’organisme et du monde ; nous trouvons, dans notre conscience, un fait considérable, nous le rapportons à un état de l’organisme, et nous rapportons cet état de l’organisme à un état du monde.

Il ne s’agit pas d’un fait accidentel qu’expliqueraient seuls les hasards subjectifs de la vie organique : l’ombre, le noir, l’obscur sont des éléments essentiels de la vision ; or, si l’existence positive et réelle de l’obscur est maintenue et transportée même de notre sphère à l’éther, la théorie des couleurs de Gœthe, reprise par Hegel, reste debout tout entière.

Gœthe et Hegel ont eu le tort d’exagérer la simplicité et l’universalité de la lumière ; ils y ont vu la manifestation de l’universelle identité et ils lui ont prêté une