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autres. Tout moment de la durée retentit à l’infini dans les moments ultérieurs, et l’esprit, en franchissant les siècles d’un bond, retrouve la suite intelligible de ce qu’il a quitté. Ainsi, que l’esprit soit éphémère et rapide comme une vibration lumineuse, qu’il soit durable el lent comme une évolution stellaire, qu’une conscience soit rythmée dans ses opérations par les battements d’ailes du moucheron, ou par les grandes périodes sidérales, toujours elle a devant elle des formes et des lois. Mais qu’est-ce à dire ? C’est que, sans la continuité da temps, il se pourrait que des esprits ne connussent dans le monde ni formes ni lois, et que toute leur vie se perdît dans des intervalles de hasard absolu. Donc si le monde est intelligible, et par là réel, ce n’est pas seulement parce que tous les phénomènes en sont liés par des relations causales, et ordonnés en systèmes de fins comme M. Lachelier l’indique ; c’est aussi parce que le monde participe dans la continuité de l’espace et du temps à la continuité absolue de l’être indéterminé et homogène. La détermination ne suffit donc pas à constituer la réalité du monde, il lui faut encore, si je puis dire, l’indétermination absolue ; la liaison, l’harmonie, l’acte ne suffisent point à donner la réalité au monde : il y faut encore la continuité absolue de l’être considéré comme puissance indéfinie. Le monde, pour être réel, doit participer non seulement de l’être en-acte, mais de l’être en puissance. C’est par la puissance indéfinie, homogène et continue de l’être que tout esprit, quel qu’il soit, peut trouver à tel moment de la durée, quel qu’il soit, des phénomènes et des lois, des éléments et des formes. De plus, la permanence même d’une forme n’est possible que parce que la puissance même de l’être est toujours mêlée à toutes ses