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je laisse pénétrer plusieurs faisceaux qui tombent sur le prisme en des points très voisins mais différents, se décomposent suivant la même loi, et doivent, par conséquent, donner chacun un spectre ; or, quelle que soit la quantité de lumière introduite par le trou du volet, le spectre est unique. N’est-ce point la marque que le morcellement est l’œuvre du prisme ?

La théorie physique de la lumière, si l’on y voit autre chose qu’un symbole commode pour se représenter les phénomènes selon les lois du mouvement, a le tort grave et même décisif de vouloir que toutes les sphères du monde et de l’être soient identiques et qu’une sphère nouvelle ne puisse ajouter à un phénomène rien de nouveau. Pourquoi la couleur ne serait-elle pas un produit de notre sphère ? Pourquoi ne supposerait-elle pas des conditions qui ne soient pas réalisées dans l’indifférence de l’espace infini ? Elle ne se manifeste aux sens qu’à la rencontre de la lumière et de ce qui est essentiellement contraire à la lumière, les corps résistants. Pourquoi donc supposer qu’elle est déjà contenue dans la lumière ? On a la ressource de dire qu’elle s’y cache et qu’elle attend, pour se montrer, que la libre expansion de la clarté rencontre un obstacle. Mais il est permis de penser aussi que ce qui se cache si bien n’existe pas encore ; la couleur est fille de la lumière et de notre monde corporel et lourd. Pourquoi en appesantir la lumière elle-même dans son expansion une et simple à travers l’infini ? Quel sens auraient le vert et le rouge dans les espaces indifférents ? ici ils résultent de la vie et ils l’expriment dans son rapport avec la lumière ; hors de la sphère vivante, ils n’ont pas de sens.

Les corps résistants, par leur individualité exclusive, les milieux épais, sont tout l’opposé de la lumière uni-