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Cette unité, en effet, n’est-elle point compromise par la physique qui, depuis Newton, brise le rayon lumineux en rayons colorés ? La lumière blanche serait un mélange des sept couleurs, et ces sept couleurs, inégalement réfrangibles, seraient comme triées par le prisme, mais non point créées par lui ; le spectre étalé les manifeste, mais elles existaient avant d’avoir pénétré dans notre sphère. Le vert, le rouge, le violet ont traversé l’espace, mais rapprochés et confondus dans la fausse apparence d’un rayon unique. Il semble qu’il était bien audacieux à Gœthe, un poète, à Hegel, un philosophe, de contester les vues d’un des plus grands génies qui aient pénétré la nature à la fois par l’observation et le calcul ; et il semble bien puéril de reprendre leur thèse, de participer au ridicule de leur entreprise et à l’humiliation de leur défaite, sans avoir comme eux l’excuse d’un grand nom et le mérite de l’invention dans l’erreur. Si, pourtant, les vues de Gœthe et de Newton n’étaient pas inconciliables ; si tous deux avaient raison, l’un au sens physique, l’autre au sens métaphysique et poétique ? La chose vaudrait la peine d’être établie. Déjà Helmholz laisse entendre (peut-être, il est vrai, par patriotisme germanique) que la théorie de Gœthe était surtout esthétique, et qu’il pouvait, sans se tromper, penser autrement que Newton, qui avait dit vrai.

Tout d’abord, l’expression de lumière blanche appliquée à la lumière totale n’est pas exacte : la blancheur est déjà une détermination particulière de la lumière ; et la preuve, c’est que la blancheur, en devenant plus précise et plus intense, nous affecte d’une toute autre façon que la pure clarté ; qui comparerait l’éclat de la neige à la lumière du jour ? La blancheur bien caractérisée est plutôt couleur que lumière : elle est la lumière