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subjectivisme dans l’ordre métaphysique, c’est qu’il aboutit, appliqué à l’art, à une conception à la fois bourgeoise et scolastique qui, ne connaissant d’autre réalité que l’homme, transforme la nature en une vaine et froide allégorie. Oui, la musique doit être expressive, mais de toute force et de toute vie. De même que les forces qui entrent en nous et qui y résonnent gardent dans notre conscience leur sincérité, de même la musique, qui emploie et enchaîne ces résonnances, doit respecter la sincérité et la variété infinie des choses. Ainsi, elle échappe au joug de la déclamation notée, et elle retrouve cette liberté de la fantaisie qui exprime à sa manière la liberté même des choses. Ce n’est pas, ai-je besoin de le dire, pour construire à la hâte une théorie de l’art que j’ai ouvert cette discussion. Je ne traite point de la musique ; je traite du son, et je voulais seulement montrer que le son, exprimant l’individualité même des choses, permettait à l’art d’échapper à la tyrannie du moi humain. Ce sont les choses mêmes qui vibrent en nous, qui sont en nous, et voilà pourquoi nous pouvons, dans la musique, oublier en quelque sorte notre âme et sentir le monde, la réalité, la vie, avec des âmes inconnues qui s’éveillent en nous. Ainsi, la valeur expressive du son est démontrée et caractérisée à nouveau par l’usage même qu’en fait l’art. Le son, c’est l’âme secrète des choses, se communiquant sans se livrer et pénétrant dans notre conscience sans en subir la loi.

La lumière, qui exprime l’universalité même de l’être et son unité, est, en un sens, le contraire même du son. J’ai déjà eu l’occasion de marquer son rôle, et je n’y reviendrais pas s’il ne me restait à définir ce que c’est que la couleur, où semble se briser l’unité de la lumière.