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un faucon criant bien haut au-dessus de lui, il l’imite, dans un cri indéfinissable où l’on sent comme un double vertige d’espace et de folie. C’est l’instant précis où la conscience et la raison de l’homme, sans lui échapper tout à fait, lui deviennent extérieures. Le centre de la conscience ne coïncide plus avec le centre de la vie. Cette sorte d’extériorité de soi-même est, si l’on peut dire, la seule conscience des choses. Mais ici, il n’y a ni trouble, ni désordre ; c’est l’état naturel et tranquille des existences simples et irréfléchies. Or, il est donné à la conscience humaine, lorsqu’elle entend la vibration de la cloche joyeuse ou ces gémissements du vent qui sont comme la plainte d’une âme se cherchant elle-même, d’accueillir en soi les choses avec leur simplicité et leur extériorité. Si elle voulait les interpréter avec ses propres habitudes ; si elle ne cherchait dans la voix des choses que l’écho de la voix humaine, elle ne comprendrait pas la vie. Mais la conscience n’est pas quelque chose de strict et de clos ; elle n’est pas une forme sèche, elle n’impose pas la réflexion à tous les phénomènes qui se produisent en elle ; elle respecte la naïveté des forces simples qui, par leurs vibrations, pénètrent en nous. Lorsque nous disons : l’oiseau chante, la cloche tinte, le psychologue analyste intervient pour nous dire : c’est vous qui entendez chanter l’oiseau, tinter la cloche ; ce sont là des sensations, des modifications de votre conscience. Eh bien ! ce psychologue a raison ; mais il a tort, car le métal vibre en moi comme si je n’étais pas moi, et dans mon âme compliquée et éphémère, il garde son âme enfantine et éternelle. Donc, si l’on veut dire que la musique doit être expressive de nous-mêmes, on se trompe grossièrement. Et, à vrai dire, une des raisons les plus fortes qui condamnent le