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de s’affirmer persistante dans les variations suffisamment libres de ses éléments, c’est-à-dire, en somme, de durer. Toute forme, par essence, est durable, c’est-à-dire que l’on peut constater des agitations et des variations multiples des éléments qu’elle se subordonne sans qu’elle-même soit altérée ; donc la fixité relative des systèmes et des formes, qui permet l’induction, tient à la racine même de l’être, et il est impossible que l’apparence du hasard envahisse, pour l’esprit qui observe, tout l’univers, car il suffit que l’esprit puisse percevoir et des changements dans les éléments informés et la permanence d’une certaine forme. Il suffit donc que l’esprit puisse durer assez pour que la permanence de la forme et de la loi se révèle à lui dans les phénomènes changeants. Or, si un minimum de temps était nécessaire à la manifestation d’une forme ou d’une loi, il se pourrait que bien des consciences ayant une durée inférieure à cette durée minimum, fussent hors d’état, entre leur apparition et leur disparition, de surprendre une seule loi, de démêler une seule forme. Mais le temps appartient à l’ordre de la quantité, il est homogène, continu, indéfiniment divisible ; et l’évolution du monde soumise à la loi du temps est continue aussi et indéfiniment divisible ; c’est-à-dire que dans tout moment de l’univers, si petit soit-il, on peut saisir une multiplicité de phénomènes successifs en qui se manifeste une loi. Et si éphémères que soient les consciences, elles sont toujours en rapport avec des formes et des lois. De même, si longue et si lente que l’on suppose la vie d’une conscience, elle trouvera toujours dans l’univers des lois. Car le monde n’est pas formé par des périodes successives, closes, indépendantes les unes des autres, étrangères les unes aux