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besoin profond était-il travaillé quand il s’est constitué à l’état de matière ? De quelque façon que l’on réponde, la matière soutient évidemment un certain rapport à l’être ; et, dès lors, ce mouvement particulier de la matière que vous appelez le son n’est pas un tracé géométrique abstrait. Il a, comme la matière même et par elle, rapport à l’être, et par la physique il tient à la métaphysique. Hé quoi ! nous dira-t-on, ces idées abstraites, l’individualité, la concentration, l’expansion, la sympathie, l’être, pourront se résumer, à certains égards, dans cette sensation si particulière, si vibrante, si frémissante qu’on appelle le son ? Soit ; il ne s’agit point d’une ligne géométrique ; dans le son, il y a une communication intime d’une force à une force, d’une âme à une âme. Mais pourquoi cette communication prend-elle la forme précise du son ? Mais, dirons-nous à notre tour, quelle idée étrange vous faites-vous de l’être, de l’individualité, de la sympathie, si vous voyez là des choses abstraites ? Mais c’est la réalité même, c’est la vie même. L’être ne peut entrer en contact avec la conscience, c’est-à-dire avec lui-même, sans devenir sensation et vie. Vous commencez par isoler arbitrairement l’être de la sensation, et puis vous nous demandez de passer, par voie de déduction, de l’être ainsi abstrait à la sensation ainsi abstraite. Mais si cette déduction était possible, c’est que l’être et la sensation seraient, au fond des choses, réellement séparés ; c’est que l’être serait chose morte, éteinte et muette, et la sensation chose superficielle et illusoire. Ce que nous devons faire, c’est démontrer, constater, sentir l’être dans la sensation ; c’est entrevoir que toute forme de la sensation est en même temps une forme de l’être. Il ne faut pas nous demander de déduire telle forme de la sensation