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région du hasard, en partie dans le monde des lois ; comment se fait-il que la région du hasard ne s’étende pas pour nous à l’univers entier ? Comment se fait-il qu’il y ait des lois assez fixes et assez simples pour que nous puissions les saisir ? La réponse de M. Lachelier est décisive : le monde n’est pas s’il n’est pas organisé ; or qui dit organisation dit une forme existant pour elle-même et par elle-même, capable par conséquent de se subordonner, au moins un moment, les éléments qu’elle enveloppe. Voici le système solaire : il est constitué par certaines relations fondamentales entre un soleil central et des planètes qui circulent autour de ce soleil ; s’il suffisait du changement le plus léger dans l’état d’une planète, passant, par exemple, de l’état gazeux à l’état solide ou se refroidissant graduellement, pour rompre les relations de mouvement des planètes et du soleil, le système solaire ne serait plus un système, il ne serait plus une organisation, une forme : il serait un fait brut et précaire perdu dans l’immense série insignifiante des faits. Pour que l’ordre de la finalité ne se confonde pas avec l’ordre mécanique, il ne faut pas qu’un seul changement dans l’ordre mécanique suffise à renverser un système de fins. Voilà un arbre, il a la vie et un certain type, une certaine forme de vie, mais si, pour garder la vie et son type de vie, il était astreint mathématiquement à tel nombre, à telle grandeur, à tel poids de ses feuilles et de ses fleurs, il n’existerait plus comme arbre, il serait à la merci de ses éléments et du moindre de ses éléments et de la moindre variation quantitative dans le moindre de ses éléments ; il ne serait plus une forme, il rentrerait dans le chaos du mécanisme et du hasard. Ainsi la forme, l’organisation est de l’essence même de l’être, et il est de l’essence même de la forme