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notre pensée, tandis que nous ne la traduisons pas toujours intérieurement en formes, en images, en couleurs. Il y a donc une sorte de résonnance sourde toujours mêlée à ma vie intime, et par là même, le son, même extérieur, a une tendance plus marquée à prendre place dans le système de ma vie intérieure. Il est, en ce sens, plus cérébral que la lumière.

Qu’est-ce que le son ? Il ne semble pas, au premier abord, que nous puissions lui accorder la même valeur métaphysique qu’à la lumière. La lumière ne peut point faire l’effet d’un accident dans la vie universelle ; elle est partout, elle resplendit dans l’éther impondérable, et elle pénètre, sans s’y arrêter, dans les milieux pesants. Elle se confond presque, comme nous l’avons vu tout à l’heure, avec l’espace lui-même, dont elle réalise, pour ainsi dire, la profondeur. Elle apparaît donc, en fait, universelle, et, en droit, nécessaire comme l’espace. Se développant dans les étendues infinies de l’éther, où aucune vie individuelle n’a pris forme, on dirait qu’elle existe pour elle-même et qu’elle n’est point rabaissée à un rôle d’utilité et de convention. Au contraire, le son paraît limité à notre sphère. Il ne se répand pas dans l’espace en dehors de l’étroite couche d’air qui enveloppe la terre ; et on peut se demander si ce n’est pas le hasard d’un élément particulièrement propre à propager les vibrations sonores qui a créé le son. Puis les êtres vivants et sentants auraient songé, par une adaptation toute instinctive, à utiliser le son par le cri, l’appel, la parole, comme moyen d’expression. Mais observons, d’abord, que l’air n’est pas le seul milieu où puisse se propager le son ; il se propage aussi dans l’eau, dans le bois, en un mot, dans tous les milieux élastiques et vibrants. On peut très bien concevoir un monde où l’air,