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tain sens, comme nous le verrons un phénomène de vision, elle a rapport à la lumière ; il y a des profondeurs visibles d’ombre, comme il y a des profondeurs visibles de clarté ; et c’est ce qui nous permet encore d’évaluer très grossièrement la distance d’une clarté dans la nuit, Oh ! les barbares ! qui nient sans s’en douter la pure lumière, qui ne la reconnaissent que là où elle prend forme dans les objets visibles, et la réduisent à une sécheresse géométrique. Nier la profondeur c’est nier la pure lumière, et affirmer la pure lumière c’est affirmer la profondeur. Ce n’est donc pas accessoirement et par une sorte d’artifice psychologique qu’avec la lumière nous entrons dans les perceptions à distance, dans les perceptions d’espace. Il y a là quelque chose d’essentiel qui a été méconnu trop longtemps par une physiologie superficielle qui considérait le mécanisme extérieur de la vision et non point son mécanisme cérébral et interne, et par une psychologie frivole, qui en faisant appel à l’association des idées pour expliquer le sens de la profondeur recourait, elle aussi, au mécanisme extérieur de l’esprit et en ignorait l’activité interne et la vocation métaphysique.

Il me semble que le son, perçu dans l’espace comme la lumière, ne nous donnerait pas cependant aussi bien qu’elle le sentiment de la pure extériorité. Il me paraît, si je me réfère à mon expérience personnelle, que le son perçu par moi éveille beaucoup plus en moi le sentiment de mon activité cérébrale propre que ne le fait la lumière. Cela tient, sans doute, à ce que le son, étant la palpitation d’êtres plus ou moins analogues à moi, ébranle les fibres de la vie personnelle plus que ne le fait la sublime indifférence de la lumière pure. Cela tient, en outre, à ce que nous parlons intérieurement