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surface de l’organisme ni en sa profondeur, aucune modification sentie qui puisse donner quelque consistance et quelque signification à ce premier lien présumé de l’organisme et des images visuelles. Et puis, pourquoi ne parler que d’images visuelles ? La lumière n’est pas tout entière dans les formes colorées qui se manifestent en elles, elle est aussi la lumière, la pure lumière, l’atmosphère idéale en qui se développent toutes les formes, qui, elle-même, n’a point de forme, et qui pénètre en nous comme l’immatérialité absolue. Ainsi, bien loin que nous nous servions de notre corps et des sensations organiques pour situer dans l’espace la lumière, c’est la lumière, au contraire, qui, en pénétrant en nous sans éveiller aucune sensation organique et en ajoutant à notre vie organique cérébrale un surcroît d’immatérialité, idéalise et allège notre corps et l’aide à contracter amitié avec l’espace. La lumière contribue, avec l’activité organique de la pensée, à situer notre corps dans l’espace, bien loin que nous nous servions de notre corps pour situer et projeter extérieurement la lumière.

M. Lachelier, pour démontrer que l’espace ne peut pas être l’objet immédiat d’une perception, observe après Berkeley que nous ne pouvons percevoir que des surfaces de vision, perpendiculaires à la direction même de notre vue ; et que, pour voir la profondeur, il nous faudrait voir transversalement, ce qui est impossible. Mais, raisonner ainsi, c’est, nous semble-t-il, substituer le mécanisme physiologique de la vision à la vision elle-même. On dirait que la vision consiste dans l’image recueillie sur la surface de la rétine, et qui est, en effet, superficielle. Mais la vision ne s’achève pas là, ou plutôt elle ne se fait pas là, même physiologiquement ; elle se fait dans le cerveau, et le cerveau a une profondeur.