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À vrai dire, il me semble que M. Lachelier, après avoir établi les fondements métaphysiques de l’induction, n’a pas assez nettement expliqué comment la pratique de l’induction s’y appuyait. La question précise, qui est à résoudre, est celle-ci : il ne suffit pas que dans le monde il y ait des lois ; il faut que ces lois puissent être constatées : et pour cela il est nécessaire qu’elles puissent produire leurs effets avec une certaine fréquence et une certaine suite : il est nécessaire dès lors qu’elles ne soient pas immédiatement contrariées par d’autres lois. C’est une loi que la terre en tournant retrouve périodiquement le soleil ; mais nous conjecturons que c’est une loi parce que le phénomène s’est reproduit avec une régularité saisissable. Si d’autres lois inconnues de nous avaient bouleversé sans cesse le mouvement des planètes et des soleils, nous ne pourrions dire avec quelques vraisemblance que le soleil se lèvera demain. La loi existerait pourtant tout de même, en ce sens qu’une force déterminée et constante tendrait à produire le retour de l’aurore ; mais cette loi contrariée et dissimulée par l’effet d’autres lois ignorées serait pour nous comme si elle n’était pas. De même la force de la pesanteur agit sur tous les objets situés dans notre sphère d’attraction suivant une loi. Mais si d’autres lois inconnues contrariaient l’action de la pesanteur, les corps abandonnés à eux-mêmes tantôt tomberaient, tantôt ne tomberaient pas, ou tomberaient avec des vitesses et des directions absolument variables : certes il n’y aurait point alors de hasard dans les choses, mais il y aurait hasard pour notre esprit. Qu’est-ce d’ailleurs que le hasard ? Ce n’est pas l’absence de toute loi, mais la confusion inextricable des effets produits par des lois multiples. Nous vivons en partie dans la