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la matérialité organique d’une sorte d’immatérialité, que notre corps peut nous apparaître comme une partie de l’espace. Nous pouvons poser à ceux qui construisent l’espace avec des sensations musculaires le dilemme suivant : ou bien notre corps n’est perçu par nous originairement que dans sa brutalité musculaire et sa lourdeur organique, et alors, comme en nous déplaçant nous ne faisons qu’ajouter pour notre conscience notre corps à notre corps, comment se fait-il que nous obtenions le sentiment de l’espace ? Ne dites point que c’est parce que nous ne sentons pas de résistance, car cette idée que nous ne sentons pas de résistance suppose déjà la conception de quelque chose qui nous soit extérieur. Ou bien nous percevons déjà notre propre corps allégé par la pensée et pénétré d’immatérialité par le vouloir, comme étant une portion d’espace ; et alors, développer l’espace au moyen du corps n’est plus qu’un jeu d’esprit. Si la théorie qui dérive la notion d’espace et de profondeur des sensations musculaires était vraie, plus les êtres seraient bruts et réduits à des sensations organiques, mieux et plus solidement ils auraient la notion de l’espace. Or, c’est le contraire de la vérité ; elle se développe dans la série animale, à mesure que grandissent l’intelligence, la conscience, l’idée de l’universel et le souci de l’impersonnel. Vous vous appliquez à détacher de l’organisme, auquel elles seraient d’abord comme appliquées, selon vous, les images visuelles. Peine inutile, car cette application prétendue n’a pas de sens. Pour que des images visuelles puissent être supposées toucher l’organisme, il faut que ce contact se manifeste à la conscience par une sensation spéciale ; or, ce ne peut pas être une sensation de pression, ce n’est pas une sensation de température, et il n’y a, à la