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à son point d’origine et nous la sentons non dans l’œil, mais dans le cerveau. Le sentiment que l’âme a du cerveau est presque indéfinissable ; elle ne le perçoit pas comme un organe figuré et résistant ; elle ne sent pas qu’elle le met en mouvement, et elle ne perçoit pas les mouvements de la matière cérébrale qui accompagnent la pensée. Cependant, dans l’acte de pensée le plus immatériel, nous localisons notre pensée dans le cerveau, nous sentons que c’est avec le cerveau que nous pensons, et lorsque notre pensée est abondante et facile, nous éprouvons non seulement une plénitude intellectuelle, mais aussi une sorte de plénitude cérébrale. Merveilleux phénomène qui permet à la pensée, sans s’embarrasser de tous les mouvements matériels auxquels elle est liée, de se sentir cependant unie à l’organe de son activité et en communauté physique avec l’organisme qui est la base de son individualité et l’instrument de son action. La lumière, en pénétrant en nous, mêle une sorte de joie indéfinissable aussi à cette plénitude organique du cerveau. Quand on dit que la lumière est la joie des yeux, on veut dire qu’elle est la joie du cerveau. La lumière se mêle à cette activité organique vaguement aperçue qui accompagne la pensée, et par suite elle se mêle, d’une manière intime et en quelque sorte organique, avec la pensée elle-même à l’état naissant. Ce n’est pas quand la pensée s’est développée en forme distincte d’idée, que la lumière vient s’unir à elle ; elle la surprend et la pénètre à l’état organique et elle constitue par là-même, dans notre cerveau, un milieu subtil et joyeux où toutes les idées quelles qu’elles soient, où toutes les formes quelles qu’elles soient, se meuvent plus heureuses et plus belles. À la lettre, nos pensées, dans leur milieu cérébral, baignent dans la