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nomène de vision, mais d’une idée et d’un phénomène de vision. C’est une association psychique et nullement organique qui se produit là. C’est exactement l’inverse de l’illusion toute psychologique par laquelle, étant installés dans un train immobile à côté d’un train qui s’ébranle, nous nous imaginons, ou mieux, nous nous voyons en mouvement. Quand nous déplaçons l’œil, c’est, au point de vue de la vision, comme si nous nous déplacions tout entiers : croyant déplacer l’œil, c’est comme si nous croyions nous déplacer nous-mêmes ; et nous imaginant être en mouvement, il faut bien que nous voyions les images se déplacer, comme si nous étions en effet en mouvement. Et c’est là, encore une fois, de la psychologie, beaucoup plus que de la physiologie. Les opérations essentielles de la vision, c’est-à-dire la concentration des rayons lumineux par une lentille, leur disposition en image sur un écran, et la transmission de cette image par les filets optiques, tout cela échappe absolument à notre sens intime. On s’étonne quelquefois que les vivants vivent ainsi, ignorant ce qu’ils sont et le mécanisme même de leur vie. Mais, en un sens élevé, cette ignorance même est science : il est bon que l’homme apprenne du dehors, par ce que nous appelons la science, le mécanisme physiologique de la vision ; car ce mécanisme est, au fond, extérieur à la vision elle-même. Si la conscience le percevait du dedans et immédiatement, elle en ferait une partie intégrante de la vision elle-même, et cela fausserait la réalité ; car l’acte de la vision ne consiste pas dans tel ou tel procédé pour amener la lumière jusqu’à l’organe même de la conscience : il consiste dans le contact immédiat de la conscience et de la lumière.

De même que pour le son, nous percevons la lumière