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a des oreilles. Et en fait, sauf lorsque le bruit, étant excessif, devient une douleur pour le tympan, l’homme ne connaît du système auditif que l’oreille extérieure qui en est une partie tout à fait accessoire.

Si nous ne consultons que notre conscience en oubliant la physiologie, nous n’entendons pas avec l’oreille, mais bien avec la tête. C’est dans notre cerveau que retentissent les sons ; c’est le cerveau, c’est-à-dire la partie de notre organisme que nous sentons le moins comme organe, qui est l’organe immédiat du son. Nous entendons comme nous pensons, avec le cerveau et cela n’a rien d’étrange, le son étant une forme, c’est-à-dire une pensée. Il n’y a donc aucune raison pour qu’il ne soit pas rapporté d’emblée par la conscience à son point d’origine, dans l’espace immatériel, qui est la forme commune de nos perceptions et de nos pensées. Il en est de même pour la lumière. En fait, lorsque nous voyons et que la lumière n’est pas blessante, nous sentons à peine nos yeux, ou même, si le spectacle est beau et ravit notre âme, nous ne les sentons plus du tout. Je sais bien que les physiologistes prétendent lier à certaines sensations musculaires de l’œil certains phénomènes de vision. Ainsi, lorsque le muscle abducteur de l’œil est paralysé à notre insu, et que, voulant mouvoir l’œil, nous le laissons en effet immobile, tout en croyant l’avoir mû, les objets paraissent se déplacer comme si nous l’avions mû. Mais cela prouve justement que nous n’avons qu’une perception infiniment obscure de l’organe lui-même, puisque nous confondons notre vouloir avec l’exécution de notre vouloir. Et puisqu’il nous suffit d’avoir l’idée que l’œil s’est mû pour voir en effet les objets se déplacer, c’est qu’il y a association, non pas d’une sensation musculaire organique et d’un phé-