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sent la lumière et le son, mais par l’ébranlement d’un milieu élastique comme l’air ou présumé tel, comme l’éther. Ce que le son et la lumière propagent, ce n’est pas de la matière, c’est une forme. Les fleurs grimpantes qui tapissent la vieille église envoient dans l’espace des particules contenues dans leurs tissus ; mais la cloche qui résonne au haut du clocher n’envoie pas au loin des particules de bronze ; elle envoie seulement, vers les hameaux et les fermes, la forme même de ses vibrations de métal. De là, dans le son et dans la lumière, quelque chose de pur que les autres sensations n’ont pas. Partout où il y a matière, il y a complexité et mélange trouble. Dans une parcelle de matière, quelle qu’elle soit, des activités infiniment diverses s’exercent confusément. Par exemple, les attractions réciproques des molécules, la loi commune de la pesanteur qu’elles subissent, les affinités chimiques qui les groupent : tout cela est enchevêtré, et lorsque l’être entre en relation, par le toucher, avec cet ensemble confus, il n’en peut discerner les activités composantes. De même, dans la nutrition, les aliments contiennent de quoi subvenir aux fonctions les plus diverses de l’organisme ; ils contiennent de la glucose pour le foie et de l’émail pour les dents, de la substance grise pour le cerveau. Ils contiennent, en outre, des éléments qui ne sont pas assimilables, et tout cela dans le pêle-mêle de la matière qui, à proprement parler, est confusion, suivant la définition platonicienne. Si les êtres se nourrissaient à distance, les aliments ne pourraient agir sur eux qu’en débrouillant, pour les leur transmettre, les diverses formes d’activité qui répondraient aux diverses fonctions vitales. Il y aurait alors une science des saveurs et une mathématique de la vie comme il y a une mathé-