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la nuance caractéristique ; mais la lumière n’est pas d’origine terrestre et les couleurs mêmes ne traduisent la vie profonde et obscure des choses qu’en un langage éthéré. Le son émane bien des êtres eux-mêmes, il sort bien des entrailles de la vie ; mais il exprime surtout les aspirations, les mouvements, les tendances de la vie ; il n’exprime pas la vie elle-même et son travail subtil : je veux dire l’élaboration secrète et continue que la vie fait subir aux éléments que lui fournit la terre. C’est là ce qu’expriment les parfums ; ils nous mettent en relation avec la vie profonde des éléments, épurée, raffinée. Ils versent en nous, à certaines heures, une ivresse de vie, et ils suppriment, si je puis dire, la grossièreté de la terre. Et quoi ! c’est de la terre grossière que sort le parfum de la rose ? Oui, certes ; et aux premières journées printanières, quand tout est senteur, il semble bien que la terre profonde exhale son âme, et, comme les parfums agissent sur notre vie intérieure, sur nos sentiments et nos pensées mêmes, le divorce hautain de l’esprit et de la terre est un moment aboli.

Avec la lumière et le son, les perceptions à distance apparaissent décidément, et cela suffit à marquer la signification générale de la lumière et du son ; l’espace intervient. Il n’y a donc plus ici, comme dans le toucher, comme dans la nutrition, la rencontre d’individualités résistantes ou l’assimilation brutale d’éléments matériels. La force qui résonne ou qui rayonne, avant d’arriver à notre conscience, se répand dans un milieu indéfini où elle peut émouvoir bien d’autres forces et bien d’autres consciences que la nôtre. Il y a donc là une puissance, toute nouvelle et très vaste, d’expansion et de sympathie. De plus, ce n’est pas par l’émission de molécules matérielles, comme pour les parfums, qu’agis-