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l’être ; et il est à peine besoin de marquer que ces conditions de l’être sont en même temps les conditions de la pensée qui ne peut saisir les phénomènes qu’en les enchaînant selon des rapports de cause et d’effet, et qui s’épuiserait à suivre ces séries indéfinies si elle ne rencontrait à chaque pas des systèmes définis, des organisations d’activité spontanée où elle se ranime et se reconnaît elle-même au contact de la vie intérieure et libre, suspendue, par sa fin propre, à l’idéal éternel. Ainsi, tandis que tout à l’heure, à propos de la substantialité des objets, nous nous bornions à dire que l’esprit concourait avec les sens à l’idée de réalité, maintenant, nous avons atteint, guidés par un maître, les hauteurs où la réalité et la pensée ne font qu’un et où le monde est identique à l’esprit. Mais il faut bien se rappeler qu’en nous élevant ainsi vers le sens le plus haut du mot réalité, nous n’avons pas quitté le monde : nous l’avons élevé avec nous et comme nous vers la réalité vraie. Il faut bien se rappeler que c’est pour fonder l’induction, c’est-à-dire l’affirmation des lois générales et constantes que notre expérience bornée ne garantit point et sans lesquelles la pensée la plus vulgaire et l’action la plus familière sont impossibles, que le philosophe a cherché ce qu’était la réalité du monde. C’est pour nous permettre d’affirmer sans folie que le soleil se lèvera demain et qu’au printemps prochain les arbres fleuriront qu’il a montré que le monde, pour être réel, devait non seulement être soumis à l’enchaînement causal, mais encore être organisé en systèmes relativement fixes : en sorte que notre vie même, faite de prévisions et d’anticipations, a la métaphysique pour base. Et en fait, cette métaphysique soutient, qu’ils le sachent ou non, tous ceux qui induisent.