Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a, dans certains parfums, comme une délicatesse qui éveille une impression de beauté. Aristote dit que, pour l’homme seul, l’odorat est non seulement un secours, mais un plaisir. « On n’a jamais vu un chien s’arrêter pour respirer une rose. » Mais on voit rarement aussi les paysans s’arrêter devant une fleur ou parfumée ou admirablement colorée. Est-ce à dire qu’elle ne les réjouit pas du tout au passage ? Il résulterait de ce que dit Aristote que les parfums ne sont pas précisément agréables en eux-mêmes, mais seulement par des associations d’idées ou grossières, comme quand ils annoncent la nourriture prochaine à l’animal, ou délicates, comme parfois chez l’homme. Mais il est vrai qu’ils ont en eux-mêmes, et sans association d’idées, un certain charme subtil et un agrément esthétique. Ils ont tous un certain effet sur l’état intérieur de l’être vivant, sur la tonalité générale de la vie, et, peut-être, ces transformations fugitives et inaperçues que subit sans cesse la vie physiologique arrivent-elles dans les parfums à une certaine expression consciente. Il en est, par exemple, de fins et de doux qui n’alourdissent, ni n’excitent, et qui semblent seulement alléger en nous et spiritualise à peine les éléments internes de la vie. Voilà pourquoi, sans doute, les odeurs comme les saveurs sont malaisées à classer. Ayant rapport à la vie physiologique infiniment complexe et instable, elles ne peuvent être déterminées aussi rigoureusement que les couleurs qui n’ont point affaire, si je puis dire, à la vie organique, mais seulement à un organe. Un peu équivoques de nature, les sensations de l’odorat le sont aussi par la localisation. Il est bien évident que c’est dans la bouche que nous sentons les saveurs ; on peut se demander si c’est dans le nez seulement ou aussi