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La sensation de température est comprise dans les sensations du toucher, parce qu’elle est localisée par nous comme les sensations de contact, de choc, ou à la surface de nos organes, ou à une profondeur plus ou moins superficielle. Mais c’est une sensation tout à fait spécifique ; la physiologie même établit qu’il y a des nerfs spéciaux de la température. De plus, la chaleur joue un tout autre rôle et répond à une tout autre idée que le toucher. Ici, il n’y a pas, comme dans le toucher, rapport d’une individualité déterminée, d’une force déterminée à une autre force déterminée ; mais, au contraire, rapport d’un organisme déterminé à l’énergie indéterminée. La chaleur se dégage des combinaisons chimiques ; elle est l’excédent d’énergie que le composé nouveau n’utilise pas pour son activité interne. Elle est donc de l’énergie libre et, si l’on peut dire, de l’énergie informe, elle ne retient rien des combinaisons chimiques spéciales qui la dégagent ; de toutes, sans exception, elle sort la même spécifiquement. Elle peut, dès lors, être utilisée et appropriée par toutes les forces, par toutes les organisations qui ont besoin d’un supplément d’énergie. Elle est, en un sens, la nourriture fondamentale des êtres, et elle est la seule qui n’étant pas empruntée par destruction à des organismes constitués, soit véritablement innocente. Se chauffer au soleil est, pour la terre et les êtres qui y pullulent, la seule façon de se nourrir qui ne sente pas la sauvagerie. La chaleur c’est l’activité de l’éther pacifique et indéfini au service des organisations spéciales. La chaleur n’ayant de sens que par son rapport aux organisations définies, n’est pas perçue à distance par les êtres ; elle n’est point localisée par eux dans l’espace ; ils ne la sentent qu’à leur surface ; ils peuvent savoir que le foyer de chaleur