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leur manière, des forces analogues aux forces tangibles. Ceux qui démontrent par le toucher la réalité objective du monde paraissent poursuivre le même but que nous, mais, au fond, ils ont de l’univers une conception toute opposée. Pour nous, nous essayons de démontrer la réalité des manifestations essentielles du monde en y découvrant des vérités. Voilà pourquoi, les différents sens nous révélant des vérités distinctes, nous ne les ramenons point les uns aux autres et nous n’appuyons point la vérité de tous sur la vérité d’un seul. Eux, ils prennent le toucher et ce qu’il nous révèle comme un fait ; ils n’interprètent point ce fait, ils ne le déterminent pas en le ramenant à une idée et ils essayent de le retrouver peu ou prou dans toutes les autres manifestations de l’univers, la lumière, le son, comme s’ils avaient démontré qu’il est le fait fondamental. Dès qu’ils ont extrait, des révélations du toucher, ce qu’ils appellent la force et qu’ils ne définissent point, ils induisent qu’il y a de la force dissimulée sous tous les phénomènes de l’univers. Et comme ils ont fait de la force, telle qu’elle se manifeste dans le toucher, le type même de la réalité sans dire pourquoi, mettant partout la force, ils trouvent partout de la réalité. On dirait que la réalité du monde est comme une assise de roc qui se développe sous terre, à une certaine profondeur, et qui, recouverte ici par les eaux bleues de la mer, ailleurs par la terre végétale et la verdure des plantes, affleure, en quelques points, à la surface du sol. Vous voyez bien, nous dit-on alors, ces pointes de roc sèches et dures qui percent au-dessus de la terre. Vous pouvez les palper, c’est bien le roc, c’est bien la réalité persistante et profonde ; et si tout est réel, c’est que tout repose sur ce fondement. Hé quoi ! la verte prairie fourmillante n’est