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objet de perception, mais objet de conscience. Et le monde extérieur n’est plus un phénomène aperçu du dehors et qui peut être illusoire. Il est une force sentie du dedans et d’une incontestable réalité. Dès lors, pour assurer l’objectivité du monde extérieur dans toutes ses manifestations, dans la lumière, le son, l’étendue, comme dans la résistance, il suffit de voir partout des forces et de supposer qu’à nos diverses espèces de sensations correspondent des groupements divers des énergies cosmiques.

Voilà le système qui se sert du toucher et du toucher tout seul pour établir la réalité du monde extérieur. Il me paraît étrange, je l’avoue, de chercher dans un seul sens la caution de tous les autres ; dans une seule manifestation de la réalité, la garantie de toutes les autres. Ainsi, la réalité du monde serait certaine dans le toucher seulement et par lui, incertaine partout ailleurs. Ainsi, la lumière n’aurait point sa vérité et sa justification en elle-même ; elle ne serait point défendue contre un subjectivisme maladif par sa fonction idéale et éclatante, qui est d’affirmer l’unité vivante et bonne de l’être, sa transparence amicale et douce. Elle, qui est la fonction de l’universel et qui sollicite les consciences étroites et closes à sortir de soi, à s’ouvrir dans l’illimité, elle ne serait certifiée et démontrée que par un procédé indirect et par l’intervention de ce sens du toucher qui resserre, au contraire, les individualités ! Au fond, quand nous avons réfuté la doctrine de Spencer, qui ramenait tous les sens à n’être que des variétés du tact, nous avons réfuté par là même la théorie qui fait dépendre la vérité de tous les sens de la vérité du toucher, et qui ne donne de la vérité aux sens que dans la mesure où ils ressemblent au toucher en exprimant, à