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rapport de cause à effet, on pourrait les parcourir dans n’importe quel sens ; ils n’auraient pas de place déterminée et certaine dans le temps ; ils ne seraient que le tourbillonnement insensé d’un rêve. Par l’enchaînement causal, tous les phénomènes se tiennent, et ils forment des séries qui ont une direction déterminée ; on ne les suit pas au hasard ; on les remonte ou on les descend ; ils ont, par là, ce minimum de détermination et de fixité sans lequel il n’y a point d’être, mais seulement l’ombre fuyante de l’être. Mais le monde n’a ainsi qu’un être bien incomplet encore, car tous ces phénomènes n’existent que par le phénomène qui les précède et les produit, c’est-à-dire qu’ils n’existent que par un rapport constant à autre chose qu’eux : leur être leur est donc extérieur ; ce qui existe vraiment, ce n’est pas le phénomène : c’est la série indéfinie des causes et des effets où ce phénomène a sa place ; mais cette série elle-même n’existe que d’une manière toujours incomplète et extérieure ; elle ne s’achève jamais en une cause phénoménale première et en un effet ultime, et jamais non plus elle ne revient sur soi et ne se ramène en cercle pour se saisir et se fixer elle-même en un système clos. C’est une ligne toujours fuyante et qui, n’existant que par le rapport de ses parties, n’existe que par cette fuite éternelle ; toujours elle se prolonge, et toujours elle se perd à l’horizon ambigu de l’être et du non-être. Le monde, réduit à la causalité, n’est qu’un fantôme en marche, condamné à ne jamais s’arrêter, se fixer et se comprendre. Il est donc nécessaire, pour que l’être soit, que ces séries indéfinies de causes et d’effets servent de support, de chaîne et de trame à des systèmes définis, ayant leur fin, c’est-à-dire leur raison en eux-mêmes. Voilà pourquoi il y a dans le monde des