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nature même des choses. Elle ne pourrait, semble-t-il, se créer des sens nouveaux sans fausser la réalité. L’électricité perçue à part comme la lumière ne serait plus l’électricité. La conscience de l’homme atteint donc par les cinq sens tout ce qu’elle peut et doit atteindre ainsi, et en abordant l’étude distincte de chacun de ces sens, nous n’allons point procéder à une sorte d’énumération arbitraire, mais à l’étude d’un système de perception qui est un système de vérité.

Le toucher, avons-nous dit, est l’affirmation de l’individualité. De là, deux conséquences : d’abord, il devra être le plus complexe de tous les sens. Il saisit en même temps, dans un objet, des qualités très diverses : la forme, la résistance, le poli, la pesanteur, la température. Tout objet individuel est le point de rencontre d’un certain nombre de qualités générales. Si vous ne considérez en lui, par un effort d’abstraction, qu’une de ses qualités, il vous est plus facile de le confondre avec d’autres objets. À mesure, au contraire, que vous considérez en lui un plus grand nombre de qualités ou de caractères, vous le distinguez mieux de tous les autres objets : son individualité s’affirme. Voilà pourquoi le sens du toucher, étant le sens de l’individualité, groupe le plus possible dans un acte unique de perception un très grand nombre de caractères. Non seulement il perçoit la forme, la résistance, la structure superficielle, la température, mais il perçoit encore le mouvement de translation et le mouvement de vibration des objets ; et avec le mouvement de vibration réglé ou déréglé, on peut presque dire qu’il perçoit le son sous sa forme matérielle. L’homme aveugle et sourd a, sans doute, une vie bien pauvre ; mais l’homme qui, doué de la vue et de l’ouïe, n’aurait à aucun degré et en aucune manière