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notre sensibilité aux choses ; et si nous constatons que les éléments essentiels de l’univers sont représentés dans notre sensibilité, si nous expliquons, en outre, pourquoi certaines catégories particulières de faits ne sont point interprétées par un sens spécial, nous aurons, semble-t-il, justifié la sensibilité humaine. J’entends par là que nous en aurons exclu toute limitation arbitraire et qu’elle sera pour nous, non plus un fait brut, mais un rapport rationnel de la conscience à l’être.

Or, il est aisé de comprendre pourquoi les combinaisons chimiques n’affectent point un sens spécial de l’être vivant. C’est que, pour l’être vivant et conscient, les phénomènes chimiques ne sont point, si j’ose dire, des vérités constituées ; ils ne sont que des matériaux. La vie n’est pas un total de combinaisons chimiques, elle est une forme d’unité qui s’impose à ces combinaisons. Ceux qui font dériver la vie de la chimie organique oublient que la nature ne produit les composés organiques que dans l’intérieur des êtres vivants. Dès lors, comment la vie, et la vie consciente, pourrait-elle donner une sorte de valeur spéciale aux combinaisons chimiques en les percevant en elles-mêmes et pour elles-mêmes sous une catégorie distincte de sensations ? Elle les perçoit seulement dans leurs rapports avec elle-même, c’est-à-dire dans la chaleur qu’elles procurent à l’économie animale ; considérées en elles-mêmes et indépendamment de la vie, les combinaisons chimiques sont des groupements de forces, des attractions, des appétitions, et alors c’est au moyen du sentiment d’énergie que la conscience enveloppe que nous nous les représentons. Ainsi, ni dans leurs relations avec la vie, ni en elles-mêmes, les combinaisons chimiques ne doivent faire l’objet d’un sens spécial.