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objet de sensation. L’objection ne porte pas, car nous pouvons très bien connaître, au moyen d’un sens, des combinaisons de mouvements qui pourraient donner lieu à une espèce nouvelle de sensations et qui sont comme neutres pour notre sensibilité. Je m’explique. Je n’ai pas besoin d’un sens spécial des combinaisons chimiques pour savoir qu’il y a des combinaisons chimiques. La vue suffit à m’en informer. Mais, pour la vue, le mouvement d’affinité qui précipite les molécules chimiques les unes vers les autres est un mouvement comme les autres. Le changement d’aspect et de couleur des éléments chimiques qui se combinent est un phénomène de vision comme les autres. Je puis donc me demander si une sensibilité plus riche que la mienne, au lieu de ne percevoir les combinaisons chimiques que sous les espèces banales de la vue, de l’ouïe, du toucher, ne pourrait point saisir directement ces combinaisons par des sensations spécifiques. De même pour l’électricité. Les phénomènes électriques sont pour moi ou des frémissements, ou des commotions, ou des étincelles lumineuses. Ils n’ont donc pour ma sensibilité rien de strictement spécifique ; ils prennent place ou dans les phénomènes musculaires ou dans les phénomènes de vision. Je sais pourtant, sans être averti par un sens spécial, que l’électricité est un agent spécial ; qu’elle a ses lois particulières et son rôle distinct ; et je puis me demander aussi pourquoi elle ne correspond pas, comme la lumière et la chaleur, à une sensation spécifique. Il nous est donc très facile de connaître indirectement des catégories de faits qui ne nous sont point révélées directement par un sens correspondant. Il n’y a donc pas coïncidence absolue et confusion de notre sensibilité et des choses, et nous pouvons, sans cercle vicieux, comparer